Marthe déposa le plateau du petit-déjeuner sur la crédence près du lit avant de se diriger vers les fenêtres dont elle tira les rideaux sur un matin ensoleillé.
« Madame a bien dormi ? », s'enquit-elle doucement.
Mme Desjoyaux se cala contre ses oreillers, avant de ramener sa longue tresse sur sa poitrine et de soupirer.
« Ce n'est pas pareil quand vous n'êtes pas là... Lucienne est pleine de bonne volonté mais qu'elle est maladroite ! Encore heureux que la représentation d'hier soir au théâtre était très satisfaisante : les artistes ont rivalisé de talent et de verve si bien qu'ils ont été applaudis de très longues minutes ! Et vous, comment s'est passé le mariage de votre frère ? Enchaîna-t-elle sans transition. A vrai dire, je ne pensais pas vous voir à mon réveil... Ne deviez-vous pas dormir là-bas ?
— J'ai préféré profiter de la voiture d'un des invités et rentrer juste après le départ des mariés, répondit Marthe, mais le mariage était très bien ! D'ailleurs, je remercie Madame de m'avoir donné sa vieille robe. Après l'avoir rafraîchie, elle semblait sortir de chez le tailleur !
— Vous avez des doigts de fée, Marthe ! Je vous ai vue partir de la fenêtre de ma chambre et vous étiez très élégante, je peux vous l'assurer... »
Depuis huit ans que Marthe Lambert était à son service, Mme Desjoyaux, qui passait pour une maîtresse exigeante, n'avait, depuis le début, que des louanges à adresser à sa femme de chambre qu'elle trouvait conforme à ce qu'elle attendait d'une domestique : active, soignée, discrète, honnête, patiente, mais surtout, décente dans ses propos. La patronne de Marthe n'avait pas hésité quelques années auparavant à réclamer de son mari une épuration de la domesticité après avoir entendu son fils de douze ans répéter un juron du cocher et sa fille de sept ans raconter sans le comprendre un écart de la femme de chambre. Faisant la chasse à tout ce qui aurait pu corrompre la pureté et la chasteté de son foyer, Magdeleine Desjoyaux avait pourtant hésité, en femme prévoyante et jalouse, à embaucher Marthe qu'elle trouvait trop jolie, mais elle avait été charmée par les manières naturellement distinguées de la jeune femme si éloignées de sa condition inférieure.